C’est un univers au cœur de la nature, de l’espace et du mystérieux que je vous propose de découvrir à travers le travail de Mélodie Charrier, jeune artiste étudiante aux Beaux-arts de Lyon. Entre architecture humaine et naturelle, son œuvre polymorphe, qui va de la sculpture à la peinture en passant par la photographie, nous invite à faire l’expérience de notre regard qui peut être trompé par ce qu’il perçoit.

Depuis l’enfance, Mélodie dessine énormément. Très académique, elle tend vers le réalisme.

C’est à l’adolescence qu’elle se détache peu à peu de la figuration et s’exprime à travers des formes beaucoup plus libres, des lignes courbes, des touches de couleurs.

Son style a évolué au fil des années. Ses études de graphisme à Paris lui ont permis de développer un questionnement sur notre rapport à l’image, au visuel, et à l’accès que nous y avons aujourd’hui. Selon l’artiste, nous sommes aujourd’hui confrontés à une frustration quant aux images qui sont aplaties par nos écrans et nos supports visuels. Son travail s’est ainsi développé autour de la nécessité de ramener du volume, de la matière à ces images. Ainsi, son œuvre mêle différentes techniques comme le dessin et la peinture, qu’elle met ensuite en forme et en texture. Le volume devient presque une obsession dans son travail, ce qui lui donne un aspect très sculptural. Sa manière de traiter l’objet visuel, figuratif ou non, nous amène à une réflexion sur l’espace, sur notre rapport physique au visuel et à la matière.

Fragments (série), « Vert », peinture acrylique, pastels et crayons de couleur, 27,8 x 32,9 cm, 2018.

Le travail de Mélodie Charrier est un entre-deux entre peinture et sculpture. Elle pratique les deux techniques ensemble, elles se côtoient et se questionnent mutuellement. La sculpture lui permet de créer un nouvel espace à explorer, contrairement à l’image plane : le spectateur peut en faire le tour, additionner les perceptions qu’il a de ce volume. Elle conçoit ainsi ses sculptures comme des images qu’elle aurait surélevées, à la façon d’un bas-relief, mais en les poussant jusqu’à l’indépendance de leur propre volume. En ce qui concerne la peinture, Mélodie travaille l’acrylique pour son opacité et le relief de sa matière. Toutefois, elle emploie l’aquarelle pour ses croquis, portant alors son intérêt sur la dilution de la couleur, la transparence et son effet visuel.

Croquis, aquarelle, 2020
« Papillon Cellophane », sculpture en papier, acrylique et résine, 192 x 80 x 30 cm, 2020.

La photographie, qu’elle pratique également, lui permet d’explorer le regard qu’elle porte et que nous portons sur la matière et la couleur. Elle joue avec les échelles de zoom afin de troubler le regard, de provoquer une perte de repères et ainsi de créer un focus inédit, instantané sur une réalité sensible, un relief.

Superpositions et Découpes dans l’espace, images dénaturées (série), « Sans Titre », photographie, 42 x 51,5cm, 2019.

L’idée de troubler le regard du spectateur est importante dans l’œuvre de Mélodie Charrier. Ainsi, elle travaille à changer d’échelles et à explorer différents matériaux. Par exemple, elle crée des sculptures monumentales en papier, et propose ainsi un jeu avec le regard du spectateur qui est trompé par la taille de la sculpture alors que son poids est très léger. Son questionnement central autour de la notion d’espace s’exprime aussi par cette exploration des échelles. Dans ses œuvres, l’artiste crée des espaces, des environnements qui nous invitent à sortir de notre perception instinctive des échelles. L’échelle du temps est aussi présente : certains travaux sont des formes d’expression très rapides, dans l’immédiateté, puis la reprise de certains détails ou d’autres œuvres lui prendront des heures, des jours entiers. Cette dualité crée aussi un passage entre le temps passé, le présent et le futur qui donne une nouvelle dimension à notre perception de l’œuvre, du visuel que nous en avons. Le temps fait partie intégrante de sa création. Pour Mélodie, créer est un « moment épicurien » et il faut « savourer l’instant de la création ».

Mélodie Charrier © Mickaël Mickael Salvi | @architecturecanard L’artiste créant dans son atelier

Par ses recherches et sa volonté de créer des ponts entre les formes, les différentes échelles et les techniques, Mélodie Charrier fait du « passage » une notion fondamentale dans la compréhension de son œuvre, toujours dans une quête d’explorer l’espace et notre perception des images.

La couleur tient également une place prépondérante dans l’œuvre de Mélodie Charrier. Elle perçoit la couleur comme une matière, et associe la couleur à la notion de volume. Sa gamme chromatique est inspirée du végétal, de la nature et de l’environnement. Son traitement s’inspire des ailes de papillons, de l’écorce des arbres, du pelage des félins, des plumes des oiseaux. Mélodie crée ainsi un univers qui mêle le végétal et l’animal.

« Oiseau gelé », acrylique et crayons de couleurs, cire, 14×19,5 cm, 2020.
Contre-Jour, Peinture acrylique et crayons de couleurs, 9,5 x 12,5cm, 2019.

La nature demeure en effet sa principale source d’inspiration. Elle la contemple depuis son enfance durant laquelle elle a beaucoup voyagé. L’artiste en herbe passait alors des heures à en observer les détails en partageant ainsi comme elle le dit elle-même des « moments intimes » avec la nature. Son observation a aussi été marquée par le cadre d’une fenêtre de voiture ou d’un hublot et a créé ainsi un parallèle avec son questionnement sur les écrans : la fenêtre, ce cadre, est un objet qui nous ouvre à un ailleurs mais qui crée aussi une séparation physique. Mélodie a donc développé très jeune ce questionnement de l’accès que l’on peut avoir aux choses, au visible, à l’invisible, au sensible.

Fleurs (série), « Rose, Orange, Jaune et Verte », peinture à l’acrylique, 14 x 19,5cm, 2019.

Les influences de Mélodie Charrier sont multiples : l’architecture humaine, avec l’image du mur qui structure l’espace, qui sépare, mais qui peut aussi créer un lien ; l’ornementation et le lien entre les beaux-arts et l’architecture. L’architecture naturelle, avec ses formes végétales, ses écorces d’arbres et ses roches l’inspire également. Encore une dualité qu’explore l’artiste qui cherche à créer un passage entre ces deux entités, qui s’approprie le jeu entre nature et sculpture.

« L’architecture végétale : comment les formes des végétaux existent, comment elles se transforment, cela me passionne ».

« Arbre Plastique », sculpture techniques mixtes (métal, carton, résine, acrylique, cire et encres), 160 x 100 x 220 cm, 2019.

En termes artistiques, Mélodie apprécie le travail de James Casebere, mais aussi de Niki de Saint Phalle pour son expérimentation des matériaux, et enfin les parcs de sculptures d’Art Brut pour ce rapport entre sculptures et architectures des paysages. Elle retient notamment Rock Garden à Chandigarh, le parc Las Posas au Mexique, ou encore le Jardin des Tarots de Niki de Saint Phalle en Italie. Mélodie s’inspire aussi du cinéma, en particulier des réalisations de Cronenberg comme Vidéodrome pour ses visuels forts et une omniprésence de la matière.

« Je me vois continuer dans ce sens-là. J’ai vraiment une obsession pour les formes, les couleurs qui revient tout le temps, c’est une résurgence que j’ai envie de préciser, d’approfondir, faire des recherches autour de ça ». Mélodie nourrit le projet d’approfondir son œuvre en travaillant en collaboration avec des scientifiques.

Si elle devait qualifier son œuvre en un mot, Mélodie Charrier choisirait « passage ». Il ne tient plus qu’à vous de l’emprunter …

Sandrine Thomas

Vous pouvez découvrir l’œuvre de Mélodie Charrier sur son compte Instagram : https://www.instagram.com/melodiecharrier/

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