Irving Penn au Grand Palais

C’est pour vous parler d’une exposition photographique que j’inaugure l’activité du blog en 2018 : la rétrospective Irving Penn au Grand Palais.

Cette exposition propose de retracer la vie et l’œuvre du célèbre photographe de mode, à l’occasion du centenaire de sa naissance.

Quel est cet engouement qui envahit les musées parisiens pour l’art américain et ses institutions ? A l’instar de la Fondation Louis Vuitton qui organise son exposition « Être Moderne : le MoMA à Paris » en collaboration avec le Museum of Modern Art de New York, le Grand Palais propose cette exposition co-organisée avec le Metropolitan Museum of Art à New York. A cela, nous pouvons ajouter la programmation de l’exposition « Pop Art – Icons that matter » jusqu’au 21 janvier au Musée Maillol, présentant la collection du Whitney Museum of American Art de New York. C’est donc tout l’art moderne New Yorkais qui semble déferler sur la capitale française cet hiver. Alors phénomène de mode, argument commercial, diplomatie culturelle ou vraie rencontre avec l’art américain ? En ce qui concerne l’exposition Irving Penn dont je vais vous parler ici, il s’agit sans conteste d’une réussite d’un réel intérêt culturel.

Le défi des expositions photographiques est de présenter des œuvres souvent de petites tailles dans les conditions idéales à leur bonne appréhension et en évitant un parcours ennuyeux et sans rythme à travers des kilomètres d’épreuves gélatino-argentiques noires et blanches …

Le défi a été habilement relevé par le Grand Palais qui propose ici un parcours à la fois chronologique et thématique vivant, à travers la carrière riche et variée du photographe.

Irving Penn est un artiste né dans le New Jersey en 1917 et mort à Manhattan en 2009.  La biographie du photographe n’est déroulée qu’au milieu de l’exposition, sur des panneaux rétro-éclairés dans l’escalier. J’ai trouvé cela innovant et bien pensé, car les gens qui souhaitent s’y attarder peuvent prendre le temps qui leur est nécessaire sans gêner la circulation dans le large escalier de marbre du Grand Palais. Aussi, cela permet au visiteur de se confronter d’abord aux œuvres sans avoir d’a priori et d’interprétations biographiques sur le travail du photographe, et ainsi de porter un œil naïf et spontané sur les images.

L’exposition s’ouvre sur les premières réalisations photographiques de l’artiste, autour de natures mortes et de photographies de rue. Elles ont vertu à montrer que cette exposition ne va pas seulement montrer des photographies de mode, des images « fashionable » et « instagrammables », mais qu’il s’agit d’une vraie rétrospective sur le travail d’un artiste photographique à l’identité et à la sensibilité propres.

Les salles 2 et 3 viennent accueillir les œuvres qui ont sans doute attiré le tout-venant à venir voir cette exposition, et ainsi évacuer d’emblée la facilité. Elles montrent les portraits de personnalités puis les photographies de mode pour Vogue, magazine pour lequel le photographe travailla une cinquantaine d’années. Il faut admettre qu’il est quelque peu désagréable de devoir admirer ses œuvres en se balançant entre deux épaules de fausses fourrures de créatures perchées sur hauts talons venues photographier un maximum de ces photos « célèbres » pour alimenter leur profil social ou leur blog beauté. Mais en faisant abstraction et en portant un regard plus sensible sur ces clichés, on sent malgré le cadre conventionnel de la photographie de mode une réelle volonté identitaire et stylistique de la part du photographe. A l’apparence simple du photographe, s’oppose la complexité des silhouettes, des poses, et des vêtements mis en scène.

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Woman with Roses (Lisa Fonssagrives-Penn in Lafaurie Dress), Paris, 1950. Photographie personnelle.

La neutralité des fonds, à l’image de la rigueur de son travail, nous plonge dans la neutralité de son studio et fait également écho à une scénographie d’exposition épurée. L’exposition est constituée de salles successives aux murs clairs ou sombres, et l’éclairage très étudié permet de voir les œuvres sans souffrir de reflets de spots sur les verres.

C’est ensuite la personnalité de photographe humaniste qui nous est montrée, à travers un travail presque anthropologique du photographe. La salle 4, « Cuzco, 1948 » nous présente le travail de l’artiste photographiant des costumes traditionnels d’autochtones. Bien que la mission lui ait été donnée par Vogue, Irving Penn a su tirer parti de ce travail pour en faire une réalisation photographique artistique, personnelle, profonde, allant bien au-delà de la mise en vitrine d’un « autre différent » et d’un exotisme perçu par un œil occidental. Cette sensibilité dans les regards de ces modèles, les choix étudiés des poses, sont perceptibles de la même façon dans la salle 8 avec ses photographies en Afrique et en Asie Pacifique.

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Two Young Nondugl Girls, Nouvelle-Guinée, 1970, épreuve gélatino-argentique, avant 1974. Photographie personnelle.

La salle 5, « Petits Métiers, 1950-1951 », rappelle le travail du photographe américain Walker Evans dans les années 1930. Par des portraits simples, humains, Irving Penn met en scène les métiers manuels de Paris, de Londres et de New York, sans superficialité et sans jugement. Toujours sur des fonds simples, Irving Penn photographie de la même façon les figures célèbres de peintres, écrivains, artistes des salles 2, 6 et 11, et les boulangers, chiffonniers, rémouleurs des rues des années 1950.

La démonstration de la valeur artistique du travail d’Irving Penn se poursuit dans les salles 7 et 9 avec la présentation respectivement de ses Nus réalisés entre 1949 et 1950, et de sa série Les Cigarettes en 1972.

Le travail sur les Nus est surprenant, et ma confrontation avec les œuvres de cette série m’a déroutée. Irving Penn propose une vision presque abstraite du corps nu féminin, dans des postures complexes et sensuelles, n’exposant jamais les bras de la femme, et relativement peu le haut du corps. Les jeux d’ombres et de lumière sont accentués par un procédé argentique spécifique dans ses tirages. Le corps de la femme est montré tel qu’il est, mais artistiquement.

La série des cigarettes traduit la sensibilité du photographe, non seulement artistique, mais aussi humaine. En effet, celui-ci est fermement opposé à la consommation de tabac, en raison des cancers mortels qu’elle peut provoquer. Il propose une approche frontale des mégots usagers trouvés sur la chaussée, comme des témoins du mal de la société de son époque. En grand format, en gros plans, l’on perçoit totalement différemment ces mégots qui sont érigés en sujets dignes d’attention. Entre travail idéologique révélant un problème de santé publique, et réflexion artistique sur la représentation d’un objet, Irving Penn se donne à voir en artiste accompli.

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Cigarette No. 125, New York, 1972. Epreuve au platine-palladium, 1974. Photographie personnelle.

L’exposition se termine salles 10 et 11 sur des natures mortes et des portraits. Le travail sur le sujet des natures mortes d’Irving Penn montre le talent artistique du photographe et le soin qu’il a toujours accordé dans son travail à la juste composition de ses images. Le choix de la construction du parcours d’exposition sous forme de boucle, en nous ramenant aux natures mortes, permet de constater l’évolution du travail d’Irving Penn entre ses débuts et la fin de sa carrière.

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Yves Saint Laurent, Paris, 1957. Photographie personnelle.

Vous l’aurez donc compris, l’exposition Irving Penn n’est pas seulement une exposition commerciale à la mode, mais donne à voir, à ceux qui le veulent bien, le travail complexe et abouti d’un photographe et artiste de talent, dont la sensibilité émeut et déroute. Malgré une certaine affluence, je vous recommande vivement de vous y rendre, en choisissant bien votre jour et horaire.

Sandrine Thomas

 

Exposition Irving Penn, au Grand Palais, du 21 septembre 2017 au 29 janvier 2018. Entrée Clémenceau. Ouvert tous les jours sauf le mardi.

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