Jan Kopp, La Patience du Tapajos, à la Fondation Bullukian

Suite à ma découverte de la Fondation Bullukian sur Internet, j’ai souhaité m’y rendre afin de découvrir cet espace situé Place Bellecour à Lyon. J’ai eu la chance d’y découvrir une très belle exposition de l’artiste Jan Kopp.

Je traverse la place Bellecour, vibrante, frénétique, animée par les touristes venus nombreux à l’occasion de la fête des Lumières. Moi-même je suis descendue à Lyon pour l’occasion, mais aussi avec une idée en tête : visiter l’exposition de la Fondation Bullukian. Je traverse la grille et la cour, et entre dans un espace paisible, coupé du bruit et de l’agitation, qui invite déjà à s’apaiser, à respirer plus lentement, à se poser.

Une médiatrice m’a accompagnée pour ce voyage de découverte dans les espaces d’exposition de la fondation à la rencontre de cet artiste allemand né à Francfort, qui vit et travaille désormais à Lyon. Je dois saluer la grande qualité du discours de médiation : chaque œuvre a été abordée avec une grande sensibilité, et les précieuses explications apportées m’ont permis de comprendre le travail de Jan Kopp et de comprendre les œuvres présentées.

Dans cette rétrospective, l’artiste Jan Kopp et la commissaire de l’exposition Fanny Robin, responsable des projets culturels à la Fondation Bullukian, invitent le visiteur à prendre le temps, à s’approprier les œuvres et l’espace.

A contre-courant d’une société qui va à toute vitesse, Jan Kopp nous invite à suivre le rythme du fleuve Tapajόs, fleuve d’Amazonie qui coule, perpétuellement, malgré l’activité humaine fugace, intense et bouillonnante qui s’est tenue près de lui à l’époque de Fordlândia. A l’image de la patience du Tapajόs, le visiteur est amené à entrer patiemment en contemplation de ces œuvres.

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Jan Kopp, Capital Fordlandia I, 2017, photographie extraite de la vidéo de l’artiste. Photographie issue du site : http://www.dda-ra.org/fr/oeuvres/KOPP

Jan Kopp travaille beaucoup autour de ces questions de détachement de la surconsommation et de la frénésie de notre société. Ses œuvres nous invitent à changer notre regard sur le monde qui nous entoure : des paquets de céréales deviennent des œuvres aux tons épurés et neutres, des journaux deviennent des ciels étoilés.

La dimension cosmique du travail de Jan Kopp est indéniable, et explique le titre de nombreuses de ses œuvres : Constellations ordinaires (numérotées ensuite). L’homme est dans l’univers, mais aussi dans son quotidien d’être humain, et la dimension immense et cosmique du monde peut être partout, encore faut-il dépasser la saturation visuelle de notre société pour la voir.

La forme idéale et apaisante du cercle, du disque, revient régulièrement si ce n’est systématiquement dans son œuvre. Disque lunaire, étoile, planète : au-delà de sa symbolique, il s’agit d’une forme simple, sans angle, sur laquelle le regard ne bute pas.

Jan Kopp interroge notre société avec des formes et des matériaux qui nous ramènent à la nature ou à notre civilisation. L’artiste refuse la production de masse et emploie donc un maximum de matériaux récupérés pour ses œuvres. L’artiste semble toujours réceptif à des perspectives de remplois de matériaux issus de trouvailles, de découvertes. Ainsi, l’installation monumentale Constellation ordinaire #8, qui capte immédiatement l’attention du visiteur dès son entrée, est composée de moules en plâtre, fabriqués à l’origine pour la réalisation de vaisselle. Ils ont été récupérés par l’artiste dans les dépendances de la manufacture de céramique des Moulins de Paillard qui cessait son activité. Ces moules sont montés sur des morceaux de bois également récupérés, créant des hauteurs différentes dans une tendance ascendante et qui semble reproduire une ville.

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Jan Kopp, Constellation ordinaire #8, 2017. Photographie issue du site de la Fondation Bullukian

 

La démarche de l’artiste est donc à la fois humaine et environnementale. On le voit très bien dans l’œuvre poétique du bateau Utopia House, de 2016, au cœur d’un projet pédagogique et qui questionne le logement durable et solidaire. Ce bateau a sillonné la France, et le visiteur retrouve ce lien au fleuve, à la nature.

Ma visite se poursuit dans l’autre espace d’exposition de la fondation, accessible par le jardin intérieur qui accueillait ce week-end une installation lumineuse pour la Fête des Lumières. Je découvre alors un espace plus intime, les vieilles pierres aux murs accueillent chaleureusement le visiteur. Ce cadre invite justement à découvrir des travaux un peu plus intimes de Jan Kopp, qui travaille sur le cosmos, la société, le monde, dans toute son amplitude par des œuvres monumentales, mais aussi dans sa subtilité et son caractère personnel par des œuvres plus « privées ». La scénographie de cette exposition a été donc subtilement pensée conjointement par l’artiste et la commissaire.

L’œuvre Constellation ordinaire #4 de 2015 m’interpelle. Elle est composée d’une bascule en acier, laiton et aluminium, posée sur un tabouret de bois. Le visiteur peut expérimenter la recherche d’équilibre de cette bascule présentée parfaitement horizontale. Jan Kopp nous confronte ainsi à la fragilité de notre équilibre face au basculement, et pose aussi la question des différents regards que le visiteur peut porter sur une même œuvre selon le placement de celle-ci ou bien son propre placement dans l’espace. Cette œuvre ne va pas sans évoquer une dimension cosmique, comme des planètes alignées…

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Jan Kopp, Constellation ordinaire #4, 2015. Photographie issue du site de la Fondation Bullukian

 

La fragilité de notre société, reposant sur des principes et des valeurs toutes aussi fragiles, est abordée avec une sensibilité touchante dans l’œuvre Constellation ordinaire #9 de 2017. Cette œuvre présente des fragments de ruches, malades ou abandonnées, (encore une récupération de matériaux, naturels cette fois, et sans dommage sur l’environnement), reposant chacun sur trois mikados de bois disposés en trépied. Le miel restant dans les ruches imbibe progressivement les mikados, les faisant ployer, et coule aussi sur la table de verre sur laquelle l’œuvre est présentée. Le support métallique massif du plateau est récupéré des ateliers des Moulins de Paillard et servait à mettre les moulages au four. Il contraste avec la fragilité de l’installation qui le surplombe. Cette œuvre est visuelle, olfactive, n’est pas figée dans le temps et est profondément organique.

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Jan Kopp, Constellation ordinaire #9, 2017. Photographie issue du site de la Fondation Bullukian

 

Jan Kopp met en œuvre une nouvelle fois la lenteur d’un processus d’évolution, une décélération,  qui est invisible à l’œil nu pour le visiteur, sauf si celui-ci fait preuve de la patience du Tapajos…

 

Sandrine Thomas

 

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur la Fondation Bullukian, sur cette très belle exposition et sur l’artiste Jan Kopp et son œuvre, mais je laisse mon lecteur qui le souhaite expérimenter par lui-même cette visite.

Exposition « JAN KOPP – La Patience du Tapajós » à la Fondation Bullukian, du 06 novembre 2018 au 05 janvier 2019. Commissariat Fanny Robin. Fondation Bullukian, 26 Place Bellecour, 69002 Lyon. Entrée libre. Du mardi au vendredi de 14h à 18h30 & samedi de 13h à 19h. Visite commentée gratuite tous les samedis à 16h.

Image d’en-tête : Jan Kopp, Contellation ordinaire #7, 2016. Photographie issue du site de la Fondation Bullukian.

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