Albert Marquet, peintre du temps suspendu

Alors que l’été boude le ciel parisien, une exposition propose à ses visiteurs de s’évader quelques temps au fil des tableaux … Ceux d’Albert Marquet, au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.

Le peintre bordelais né en 1875 est méconnu à tort, et fait ici l’objet d’une rétrospective inédite. Il entre dès sa jeunesse à l’Ecole des Arts Décoratifs à Paris, et y rencontre sur ses bancs Henri Matisse et Henri Manguin, puis poursuit sa formation au Beaux-Arts en 1894, fréquentant alors l’atelier de Gustave Moreau. C’est ainsi au tournant postimpressionniste que s’illustre Marquet, mais il demeure par son naturel discret, dans l’ombre de ses célèbres contemporains…

L’exposition propose une progression chronologique et thématique du travail du peintre timoré. Celle-ci s’ouvre sur les travaux de nus réalisés par Marquet, s’adonnant ainsi à l’exercice académique absolu de tout jeune dessinateur. Le trait surprend le visiteur : il semble maladroit, grossier, un cerne entoure les silhouettes féminines, entre pudeur et érotisme…

La séparation de la salle par une rubalise au milieu de la pièce empêche la connaissance de la vie du peintre, puisque celle-ci est présentée sur le mur d’en face. J’avoue avoir été surprise et gênée par ce choix scénographique, le visiteur abordant ainsi l’exposition dans un espace où il n’est pas libre de circuler, et admirant les œuvres d’un artiste dont il ne peut connaître le parcours personnel.

Les salles suivantes élargissent notre vision de Marquet en tant que dessinateur de talent, dont la vivacité du trait a été très tôt perçue et reconnue. Au moyen de l’encre de chine, du crayon, du pastel ou du fusain, celui-ci arrive à saisir des attitudes, des caractères, de personnages ou d’objets, en quelques lignes dynamiques et vivantes seulement.

Le visiteur fait ensuite la découverte d’une part importante du travail du peintre, consacrée au paysage. Il s’agit sans doute de son sujet de prédilection, puisque les tableaux le présentant sont aussi multiples que variés. Il n’est pas tant campagnard que citadin par exemple. Les vues de Paris, notamment de Notre-Dame par temps de neige, réalisées depuis la fenêtre de son atelier, sont toutes aussi saisissantes de réalisme que ses vues de Normandie, d’Arcueil, etc.

C’est à ce moment-là, dans la découverte du paysage de Marquet, que j’ai pris conscience en tant que visiteur de l’incroyable aspect photographique des tableaux réalisés par le peintre. Vus de très près, ceux-ci semblent présenter une touche grossière, presque enfantine, et être caractérisés par des formes et silhouettes simplement esquissées. Mais lorsque le visiteur recule et regarde le tableau de loin, l’image apparaît telle une photographie, criante de vivacité, de luminosité et de réalisme.

Un point notable et commun que nous pouvons relever dans cette exposition est sans doute celui du traitement de la lumière. C’est en tout cas ce qui m’a réellement saisi. Albert Marquet semblait porter une grande attention et une grande précision à un rendu sensible de la lumière et de ses jeux sur le paysage. Aussi, celui-ci traite ses sujets au moyen de couleurs pastel et peu contrastées, à l’instar de son inspirateur Raoul Dufy. Le peintre propose en ce sens une représentation particulière du bleu de la mer, qui restera sans doute dans votre esprit longtemps après votre visite. La luminosité et l’harmonie qui se dégagent des tableaux de Marquet sont saisissantes. Il en va de même pour son traitement dans la représentation de l’astre solaire, surprenante, unique et personnelle.

Albert Marquet, par ses toiles, propose aussi à ses visiteurs de le suivre dans ses nombreux voyages. En effet, bien qu’il ait résidé à Paris, celui-ci a aussi vécu à Alger avec son épouse, et a beaucoup voyagé, visitant notamment la Suède, la Norvège, l’Italie, la Tunisie, les Pays-Bas, l’Allemagne, Beyrouth, Istanbul, la Vendée…

Comme autant de cartes postales ou de photographies, les paysages de Marquet proposent des vues de bord de mer, de ports, changeantes par les couleurs et les lumières, les saisons, la typologie du paysage… On retiendra notamment les vues réalisées dans la baie de Naples, le Vésuve perceptible en arrière-plan, qui sont à couper le souffle. Avec ces tableaux, vous serez déjà en vacances !

Au cours de l’exposition, vous noterez sans doute d’étonnantes variations de styles dans la façon de peindre de l’artiste, qui m’ont aussi surprise. Albert Marquet, étant contemporain de la période postimpressionniste, assiste à la mouvance de nombreux courants picturaux, auxquels il s’est essayé, volubile, ne s’affligeant d’aucune étiquette. On pourra ainsi percevoir le style naïf, le fauvisme, du cubisme…

Enfin, le dernier volet de l’exposition montre le sujet de la fenêtre, perçu par le peintre. Grand credo de l’inspiration artistique, le sujet de la fenêtre, ou son procédé perspectif mis au point lors de la Renaissance italienne, la veduta, a fait l’objet de nombreuses représentations en histoire de l’art, tant dans le domaine pictural que littéraire. Dans cette dernière salle, on découvre les œuvres tardives de Marquet portant sur ce thème un regard tendre, avec une sorte de détachement, qui semble annoncer la fermeture définitive de ses paupières sur le monde, à Paris, le 14 juin 1947. Le tableau Persienne verte, vers 1945-46, prend le contrepied de la fenêtre comme ouverture sur le monde et à l’imagination, en l’érigeant comme sujet central du tableau en elle-même, et montrant ainsi un lien entre ces volets clos et les yeux du peintre qui se ferment.

En ce qui concerne la scénographie, on appréciera l’espace proposé par le MAM qui permet de reculer aisément pour admirer les tableaux, et de ne pas se sentir massé parmi les autres visiteurs. Toutefois, je déplore un peu la tristesse du gris sur le sol et les murs, qui tend à une certaine austérité, en contradiction avec la douceur des atmosphères créées par Albert Marquet dans ses tableaux. Enfin, les textes introductifs aux espaces sont parfois un peu mal placés, ce qui rend l’appréhension des tableaux présentés en relation avec ceux-ci parfois délicate. Le MAM reste toutefois un lieu de visite agréable, et bien sûr gratuit (même pour les expositions temporaires) pour les étudiants en histoire de l’art.

Exposition Albert Marquet. Peintre du temps suspendu , Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (11 avenue du Président Wilson 75116), du 25 mars au 21 août 2016. Plein tarif : 12€ / tarif réduit : 9€ / gratuit pour les moins de 18 ans et les étudiants en histoire de l’art. Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, nocturne pour les expositions le jeudi jusqu’à 22h.

Crédits image : Albert Marquet, Venise San Giogio Maggiore, 1936, extraite du site Le Contemporain

Sandrine Thomas

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