Giacometti, entre tradition et avant-garde au Musée Maillol

« La figure humaine n’est pas simplement le prétexte pour faire une belle sculpture ou une belle peinture, mais la toile ou la pierre ne sont que des moyens pour tâcher de rendre compte de ce que je vois. » Tels sont les mots d’Alberto Giacometti dans le documentaire de Jacques Dupin des années 1960.

L’homme, la femme, la matière, la quête, le souci de rendre compte de ce que l’œil voit. Voici autant de thèmes centraux de l’œuvre de Giacometti que j’ai eu grand plaisir à (re)découvrir dans le cadre de l’exposition « Giacometti. Entre traditions et avant-gardes » organisée par le Musée Maillol en collaboration avec la Fondation Giacometti, du 14 septembre 2018 au 20 janvier 2019.

Cette exposition présente dans un parcours à la fois chronologique et thématique l’œuvre du sculpteur Alberto Giacometti dans toute sa complexité d’influences, de styles, de recherches et de sujets. Une cinquantaine de ses sculptures sont mises en regard avec près de vingt-cinq œuvres d’artistes majeurs, tels qu’Ossip Zadkine, Aristide Maillol, Brancusi, Henri Laurens, Rodin, Bourdelle, ou encore Lipchitz. Classiques ou modernes, ces artistes ont influencé le travail de Giacometti, qui s’en est rapproché ou détaché.

Je confesse ne pas avoir fréquenté le musée Maillol auparavant, à mon grand regret. J’ai manqué leurs expositions temporaires qui pourtant semblaient intéressantes, et figuraient toujours sur ma liste d’expositions à visiter. Aujourd’hui, après ma découverte de cet endroit remarquable, je le regrette d’autant plus et me fais la promesse d’y retourner assidûment.

C’est dans un écrin parisien, entre la Rue du Bac et la Rue de Grenelle, entre architecture haussmannienne, néoclassique et contemporaine, que je découvre derrière deux portes de verre le Musée Maillol. Serais-je alors déjà entre tradition et avant-garde ? Le personnel accueillant me dirige vers le premier étage où commence l’exposition.

La première salle est grande, claire, les murs sont blancs ou gris pâles rehaussés de bleu. Cette identité scénographique épurée, poursuivie dans toutes les salles de l’exposition, est propice à la concentration sur les œuvres et le propos. Ce « presque white-cube » trancherait avec l’atelier d’Alberto Giacometti, installé rue Hippolyte-Maindron, dont l’espace était saturé d’objets, de graffitis aux murs, de gravures, d’images punaisées, et de tubes de peinture…

Un texte introductif et une biographie chronologique me replongent d’emblée dans l’époque de l’artiste. Face à sa vie résumée, des socles en forme de stèles obliques fixés au mur présentent sous vitrine les visages qui ont marqué l’œuvre de Giacometti : Diego, Annette ; mais aussi d’autres visages de la main d’autres sculpteurs comme Charles Despiau.

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Deux têtes d’Alberto Giacometti sur les stèles obliques, photographie personnelle

Les salles suivantes présentent les différentes phases de l’artiste. Sa jeunesse le rapproche d’abord de la tradition par la fréquentation de l’Académie de la Grande Chaumière de Bourdelle ; puis il fait la rencontre des avant-gardes parisiennes qui le confrontent notamment au cubisme, mais aussi aux figures géométrisées de Zadkine, Lipchitz ou Laurens. Il est également influencé dans les années 1920 par l’art africain, alors prisé des sculpteurs pour sa stylisation, et ceci le rapproche du surréalisme et de l’abstraction. Son œuvre Femme (plate V) datée vers 1929 témoigne de ces influences.

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Alberto Giacometti, Femme (plate V), vers 1929. Photographie personnelle

Puis, à partir du milieu des années 1930, il revient finalement à la figuration et travaille d’après modèles, d’après nature, sans relâche, à représenter la figure humaine. C’est la maturité de son œuvre qui s’installe et s’affirme. Dans les années 1950, Giacometti élabore des compositions de plusieurs figures, proche de l’anthropomorphisme et du surréalisme. Les réalisations du sculpteur trouvent tout au long de l’exposition un écho pertinent et habile avec les œuvres de ses aînés ou contemporains. Ainsi, les Trois hommes qui marchent de 1948 d’Alberto Giacometti côtoient Les Trois Nymphes de la prairie de 1930-1937 d’Aristide Maillol.

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Aristide Maillol, Les Trois Nymphes de la prairie, 1930-1937. Photographie personnelle

On peut aussi relever l’exemple de l’œuvre de Rodin L’homme qui marche, du début des années 1900, que Giacometti copie au stylo sur la page jouxtant la reproduction photographique de la sculpture, dans un petit livre de 1921. Il crée ensuite sa sculpture monumentale L’homme traversant une place (exposée dans sa version de 1959).

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Alberto Giacometti, L’homme traversant une place, 1959. Photographie personnelle

La fin de la première partie de l’exposition à l’étage montre l’ultime argument rattachant Giacometti à une tradition de sculpteurs : son héritage de l’antique. La copie des maîtres antiques est un exercice auquel Alberto Giacometti s’est livré et quelques dessins en attestent. Toutefois, ce chapitre d’exposition est assez faible en œuvres présentées et le propos semble moins appuyé. Peut-être en raison d’une supposée évidence de l’argument…

La suite de l’exposition se trouve dans une grande salle de pierre au rez-de-chaussée, et présente un vaste chapitre, celui des figures féminines. La représentation du nu féminin est en effet un élément central de l’œuvre de Giacometti, qui est à nouveau présenté avec des sculptures de ses contemporains. Ainsi, la Femme de Venise III, de 1956, dans un style presque cycladique, côtoie La Feuille de Germaine Richier de 1948. J’ai trouvé cette salle émouvante et forte, plaçant la femme comme sujet et comme artiste dans le plus grand espace de l’exposition.

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Alberto Giacometti, Femme de Venise III, 1956. Photographie personnelle
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Germaine Richier, La Feuille, 1948. Photographie personnelle

La salle présentant la thématique de l’« homme qui marche » côtoie ce grand espace.

Enfin, l’exposition s’achève sur une visite intimiste de l’atelier de Giacometti, un espace d’à peine 23m2 que l’artiste occupa de 1926 jusqu’à sa mort, au 46 rue Hippolyte-Maindron dans le quartier de Montparnasse. Un espace vidéo présente un extrait pénétrant du superbe film Alberto Giacometti d’Ernst Scheidegger, assisté de Peter Münger pour la Fondation Maeght de 1965. Sur les cimaises sont présentées des photographies de l’atelier réalisées par des photographes de renom, tels que Sabine Weiss.

Je tiens particulièrement à souligner pour cette exposition la grande précision des textes de salles, des cartels augmentés et textes complémentaires, qui abordaient chacun des aspects de l’œuvre sculptée de Giacometti dans une dimension tout aussi théorique que technique avec une limpidité et une clarté admirables. Qu’il est agréable de rendre accessible cette œuvre si belle et complexe pour ensuite pouvoir échanger à son sujet !

J’ai également beaucoup apprécié que le parcours soit ponctué de citations de l’artiste retranscrites sur les murs. Celles-ci venaient agréablement compléter les interviews présentées dans les extraits vidéos et ainsi je ressentais presque la présence de l’artiste, je visitais son exposition avec lui, et il me la commentait.

Il faut toutefois souligner qu’il y avait peu de monde dans les salles lors de ma visite, mais qu’avec un peu d’affluence, la lisibilité du parcours, des textes, et le visionnage des vidéos devaient être laborieux.

J’ai quitté cette exposition à la fois épuisée et rassérénée. Elle a été pour moi une expérience intense, une « re »-rencontre avec cet artiste dont je n’avais pas saisi la richesse et la sensibilité et que cette exposition a su selon moi mettre en lumière.

Sandrine Thomas

Exposition “Giacometti, entre tradition et avant-garde”, Musée Maillol, 61 rue de Grenelle, 75007 Paris, du 14 septembre 2018 au 20 janvier 2019. Ouvert tous les jours en période d’exposition temporaire, de 10h30 à 18h30, nocturne le vendredi jusqu’à 20h30.

Image d’en-tête : Alberto Giacometti, Quatre femmes sur socle, 1950. Photographie personnelle.

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